Les malheurs d' Yvan Issaïevitch

            Mais qu'est ce qui t'a pris, Yvan Issaïevitch ? siffle le vent des steppes qui chevauche un vieux loup pelé .

Qu'est ce qui t'a pris ce jour là ? t'aurais été mieux avisé de rester tranquillement au village, à rentrer  les bottes de foin avec oncle Vania.

C'est vrai qu'il est un peu pénible, Vania,  depuis que Macha, Olga,  et Irina sont parties faire top modèles à Paris.

 Mais si tu voulais pas faire moujik, t'aurais pu aussi bien être charpentier comme Boris, marin comme Michal ou tiens, confiseur comme cette chochotte de Piotr. Ou même importateur de top modèles comme Igor qui, parait- il, mène une vie de prince à Paris. En voilà un qui a réussi, malgré son passé  crapuleux !

Qu'est ce qui t'a pris ce jour là ? gémit le vent des steppes sur son loup efflanqué.

Qu'est ce qui t'a pris de suivre le gros Volodia pour aller participer au déboulonnage de la statue du camarade Boulguine ?

Ah, Yvan Issaïevitch, quand on te dit "chiche", tu sais pas résister. Il était là à te défier, Volodia : " jte parie qu't'es pas cap' de quitter les jupes des vieilles babas"

- Premièrement, t'en avais rien à cirer du camarade Boulguine.

La seule fois où il est venu au village, t'avais huit ans, et tu l'as même pas vu parce que pendant que tu chantais "longue vie au camarade Boulguine",  t'avais l'horizon bouché par le dos du gros Volodia.

- Deuxièmement, tu t'en bats l'œil de son fameux discours  sur " la  gestion dérogatoire des silos " qui lui a valu sa gloire, puis sa chute.

- Troisièmement... il faut dire qu'il sait y faire, Volodia.

Pendant qu'en attendant d'avoir l'âge de faire top modèle,  la petite Catherine desservait la table et que tu t'enferrais dans tes molles protestations, il avançait des arguments convaincants, sinon patriotiques..

"deux jours en ville, t'imagines ? les filles, la vodka, da !"

- Ah, Yvan Issaïevitch, pleure le vent des steppes sur le loup essoufflé, te souviens- tu du lac vert ? où la noire épinette relaie les bouleaux blancs? Où tu amenais Irina après la fête des moissons, quand oncle Vania ronflait  sur son violon ? le silence seulement troublé par l'essor des canards sauvages ?

" ça ne sert à rien de te morfondre", qu'il disait, Volodia." Allez, on s'arrache, comme disait Gogol. Pas de port d'attache pour les âmes libres, chantait Pouchkine."

Il a toujours aimé frimer, Volodia, même si après le troisième verre il a un peu tendance à emmêler les références. 

- Quatrièmement, tu sais bien, Ivan, qu'il faut se méfier de lui quand sa voix devient rauque. Ça veut dire que toi aussi t'as dépassé la jauge de ton libre arbitre.

- Cinquièmement, quand t'as vu que le camarade  Boulguine (paix à son âme) était déjà sur le camion, t'aurais dû, oui t'aurais dû, Yvan Issaïevitch,  planter là Volodia et ses torrents de larmes. Mais t' as le cœur trop tendre, tu pouvais pas couper court à une relation de 25 ans et partir en sifflotant ! D'ailleurs t'aurais pas pu, vu que tu pouvais plus marcher.

- Sixièmement, Ivan, quand Boris, que t'avais jamais vu, vous a invités à exprimer votre patriotisme par des actes, que diable, Volia ! était ce nécessaire d'entrer dans le bureau de recrutement dans l'espoir d'y dormir au calme ? Comme gémit  Volodia, n'aurait il pas mieux valu vous ouvrir les veines avec un couteau tranchant ?

Ç'aurait mieux valu, en tous cas, que d'être là, dans un uniforme trop grand, à côté de Volodia dans un uniforme trop petit, à  garder un tas de bidons et  parler au vent des steppes  !

image barbouille

ce jour là, à l'atelier, il fallait placer des mots imposés,  plus ou moins oubliés, il y avait avisé, confiseur, crapuleux, déboulonnage, dérogatoire, épinette, essor,  jauge, port d'attache, premièrement, tranchant....

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