pour Miletune

 

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photo Eric Belin

 

Elle appelle ça "mon autel culturel".


-"Des vieilleries", grommelle Brigitte en passant le plumeau d'un air dégoûté, "des nids à poussière".


-"Enfin, Maman", dit Sylvie, "les escargots devant l'homme pressé, c'est amusant, mais pourquoi as-tu besoin d'enrubanner de dentelle ces vieux bouquins ? Qu'est-ce que tu leur trouves ? As-tu l'intention de les relire ? Plus personne ne lit Paul Morand, Pierre Benoit, Martin du Gard ! Le gros Dumas passe encore, mais le traité de cosmographie de l'antiquité à nos jours, édition 1912, Maman !

Si tu veux je te cherche une édition plus belle de tous ces titres…"


-"Ma chérie, je ne veux pas de livre neuf. Ceux-là, pas d'autres. Qu'importe qu'ils soient sales et dépiautés ! Je n'ai pas besoin de les ouvrir pour entendre Antinéa et Milady me parler avec la voix de mon père qui aimait tant ces livres.  

La cosmographie, c'est étrange, je ne sais pas ce qu'elle fait là… mais le vieux réveil, ma chérie, un réveil qui ne réveille pas, n'est-ce pas infiniment reposant ?


-"Ta mère est à la pointe de l'art", intervient Marc. Elle fait des INSTALLATIONS. Comme celles que nous avons vues au musée d'art moderne. C'est épatant, mère, il faudra qu'on vous y  emmène, ça vous donnera des idées ! Tu te rappelles, Sylvie ? Ce caddie débordant de bouteilles et de paquets de lessive, follement exotique ! Et le billard rempli de boue dans laquelle dormaient des gnomes de plastiques, qui se mettaient à copuler frénétiquement dès qu'un  visiteur passait devant ? Géant !!!

Ah Ah Ah !!!"


Mais Sylvie ne rit pas. Sa mère l'inquiète. Elle a toujours été fantasque, mais depuis quelque temps, elle multiplie les installations incongrues un peu partout dans la maison. Et elle interdit qu'on y touche !

La pire, qui broie le cœur de Sylvie, est qu'elle a posé les vieilles pantoufles de son père en plein milieu du vestibule pour le cas où "il se déciderait à rentrer".


-"Maman, s'il te plaît, ce sont des folies, tu le sais bien, pourquoi fais-tu tout cela ?"


-"Mais, ma chérie", dit Isabelle avec l'air malicieux qu'elle avait autrefois quand elle leur avait préparé un bon gâteau ou concocté une surprise, "je fais mes bagages, tu vois bien"

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