après l'orage vient le beau temps

Quelle déception quelle déception !!!

Tu croyais bien connaitre Paris, petite Naiko… Tu avais vu "Amélie Poulain", et "Marie Antoinette", ainsi que la vidéo du mariage en blanc de ta cousine Sakakibana à l’église adventiste de Neuilly…

Et rien n’est comme ça, rien !

La ville est sale et désordonnée, les Français impolis, vulgaires, bruyants, agressifs ou entreprenants. Ils crient, ils rient. Tout ce qu’ils pensent se lit sur leur visage, c’est d’une indécence insoutenable.

À peine étiez-vous descendus du car, hier, que madame Watanabe, l’honorable guide, s’est fait dépouiller de son sac. Ce midi, il n’y avait pas de papier dans les toilettes du restaurant ! Et personne du groupe n’a osé évoquer cet inconvénient trivial auprès du personnel, par ailleurs affairé et indifférent.

Ce matin, pas de gentilshommes emperruqués dans la galerie des glaces, visitée en 7 minutes, mais une exposition de Takashi Murakami qui n’a pas manqué de te troubler.

Pendant les 24 minutes de la visite de Notre Dame, tout à l'heure, tu n’as pas compris les piliers de la terre, tu n’as pas senti la puissance des monstres griffus, fourchus, grimaçants, ni vu le Paradis peint, où sont harpes et luths, et l' enfer où damnés sont boullus[1] Tu n’as pas aperçu le bossu sonnant le grand bourdon, ni deviné les ombres des jongleurs et cracheurs de feu mêlées aux jeunes gens du flash mob tonitruant sur le parvis.

Tu as bien essayé de t’imaginer en blanche mariée remontant la nef, sans même savoir que tu posais tes petits pieds sur les traces de ceux de l’impératrice Joséphine, mais c’était si grand, si gris !!!!

Heureusement que le périple s’achève demain, après le tour des boutiques de luxe, bientôt tu pourras te régénérer dans la contemplation des cerisiers en fleurs, et retrouver la perfection de l'impassibilité[2].

Tu étais à deux doigts, petite Naiko, de rejoindre ceux de tes compatriotes secourus à Sainte Anne pour cause de délire du voyageur, ce désastre des sens et du mental qui saisit Stendhal à Florence, ou qui, çà et là, conduit nombre d'occidentaux  à jeter leur Rolex de contrefaçon par-dessus les moulins, pour aller battre la campagne, qui en toge, qui  nu et chevelu, selon qu'il se prend pour Jésus ou Bouddha...

La mascarade cesse en général dès le rapatriement  sanitaire, quand les victimes du poids cumulé de l'histoire et de la culture exotique retrouvent avec bonheur la familiarité rassurante des bousculades de leur propre métro[3], comme le tien, Naiko, avec ses employés gantés de blanc

     pour Miletune, sur une photo des "bateaux parisiens" réédition

[1]François Villon, ballade pour prier Notre Dame
[2] … si tu ris, tu ne seras pas distinguée, si ton visage exprime un sentiment, tu es vulgaire, si tu mentionnes l'existence d'un poil sur ton corps, tu es immonde,  si un garçon t'embrasse sur la joue en public, tu es une putain, si tu manges avec plaisir, tu es une truie, si tu éprouves du plaisir à dormir, tu es une vache... Amélie Nothomb, "stupeur et tremblements"
[3] La première fois que j’ai pris le métro (à Tokyo), des messieurs et des dames dansaient l’habituelle pantomime du pingouin qui salue. Les wagons s’ouvrent et les pingouins deviennent chats sauvages. Et je te pousse, et je te cogne, et je te bouscule jusqu’à ce que toutes les places assises soient occupées. J’ai vu une femme, si vieille qu’elle ne tenait que par ses os et ses tremblements, littéralement catapultée par un gaillard de vingt ans qui s’est vautré sur les sièges, sans la moindre honte, et sans que personne lui dise quoi que ce soit… Anne-France Dautheville "Et j'ai suivi le vent"
 
Retour à l'accueil