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                   En Septembre, il eut une rémission. Elle se reprit à espérer.
Car l'espérance est violente.
Il descendait au jardin, s'enquérait des fruitiers qu'il faudrait élaguer, des rosiers à attacher plus serré sur la tonnelle. Il restait de longs moments à regarder les oiseaux se chamailler.
Il souriait de la voir à nouveau coquette et enjouée.
On eût dit que le bonheur était revenu.  
Un matin, il dit qu'il voulait retourner au Chemin des Dames. Elle demanda si ce n'était pas un peu tôt, s'il ne valait pas mieux attendre que les forces lui soient bien revenues.
Il dit que c'était maintenant, parce qu'on était en septembre, que c'était le 18 septembre que son père avait été tué là-bas ; il voulait voir le ciel comme son père l'avait vu ce jour-là.
Avant d'être pulvérisé près du bois de Blée.
Avant d'être emmené vers la ferme de D. , sur un tombereau, dans une bâche, mêlé à la bouillie de ses camarades.
Alors ils y allèrent.
Il dormit presque tout le temps pendant les trois heures de route.
Ils étaient venus plusieurs fois à Blée et connaissaient bien la campagne riante et vallonnée, qui n'avait rien à voir avec les tragiques cartes postales sépia qu'il avait dans son album.
Mais le ciel était le même.
Elle engagea la voiture dans le petit chemin près du bois.
Pendant qu'elle cueillait quelques campanules sur le bas-côté, il s'appuya contre la voiture et regarda le ciel. Un ciel avec des petits nuages blancs immobiles, très haut, en attente.
Arrêt sur image depuis le 18 septembre 1914.
Il n'eut pas assez de forces pour monter la pente qui conduisait au petit cimetière où une plaque  honore ceux qui se trouvent là, intimement unis malgré eux dans une fosse commune. Elle y déposa les campanules.
 - Il avait vingt-cinq ans ! dit-il, tu te rends compte que je pourrais être le grand père de mon jeune Papa ?
 
Il ne voulut pas rester à l'auberge comme elle avait prévu.
- Je veux rentrer chez nous, s'il te plait.
La nuit était noire quand ils arrivèrent.
Il frissonnait et se laissa mettre au lit, sans grommeler comme il le faisait d'habitude.
- Il faudra, dit-il, que tu me conduises demain à Drancourt, je voudrais revoir mon école. Je voudrais voir s'il y a toujours le marronnier dans la cour.
Pardonne-moi, Marie, Dieu sait que j'ai aimé chaque minute que j'ai passée avec toi, mais sous ce marronnier, le monde était à moi...
 
Comme chaque soir, elle lui tint la main jusqu'à ce qu'il s'endorme.

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