1 Janvier 2012
Simone en a sa claque du concert du nouvel an.
Elle déteste les Valses de Vienne. Mais, comme chaque année, son mari, Albert, a invité sa mère au déjeuner du nouvel an. Et pas de déjeuner du nouvel an sans concert du nouvel an !
Mère et fils somnolent sur le canapé à côté du portait du petit père du peuple qui n'a jamais quitté Albert depuis son adolescence.
Simone en profite pour changer de chaîne.
* Télé 51 - émission juke-box : Enrico Macias déchaîné pousse des youyous enthousiastes pour accompagner un groupe de rock touareg.
Albert se réveille à demi.
- c'est les girls du Crazy ?
- mais non, mon gros, rendors toi, le Crazy c'était hier. Et maintenant c'est tintin jusqu'à l'année prochaine…
* ARTE - Longue vue, animé par Antoine, destins fulgurants de grands aventuriers, toujours prêts à larguer les amarres pour aller présenter des lunettes de soleil sous les cocotiers.
* Canal Z - "Guillemets", un copié collé d'Apostrophes. En beaucoup plus moderne. Patrick Sébastien a invité sur la grande roue quelques personnalités de l'année, afin de commenter le bêtisier des bêtisiers. Ce qui renouvelle le genre.
Pour avoir été un temps (exactement du 13 avril 58 au 13 avril 59) la petite amie d'un perchman de l'ORTF, Simone sait bien comment cela se passe. L'assistante de l'animateur fait son marché dans les people à louer de l'agence "Select", selon le budget de la production.
Visiblement Georges Clooney doit être au dessus de leurs moyens !
Parce que là on voit dans la première nacelle Bernard-Henry Levy et Mireille Mathieu, et on les entend parler d'omégas 3 pendant le générique ; dans la seconde Léo, de la Star AC, en blouson de peau retournée rose, et le Dalaï lama, souriant et un peu frigorifié, ont l'air de bien s'entendre ; et dans la suivante !!!! Horreur ! Mais c’est cette grosse vache de Mathilde de Blautschild, dans une fourrure blanche, hilare et à demi vautrée sur l'animateur !
Une bonne haine fait plus d'usage que l'amour. Elle peut vous soutenir toute une vie.
C'est le cas de la haine que Simone Maraîcher voue à Mathilde de Blautschild, haine toujours aussi vivace qu'au premier jour.
Tout avait été parfait ce 12 avril 1958 : Simone Martin avait été élue Miss Chic Français, tandis que Mathilde Durand devait se contenter du titre de première dauphine.
Tout s’était bien passé, à part la peignée homérique qui avait jeté sur la scène miss Chic Strasbourgeois et miss Chic Rouennais échevelées et la couronne en bataille, devant un public ravi de l'incident.
Seulement voilà ! le baron de Blautschild, président de la manifestation, avait ensuite convié Miss Chic Français et sa dauphine à un dîner fin au "tire bouchon", annexe très privée du Crillon, où se traitent et se sous-traitent nombre de contrats que la finance et la morale ignorent. Et au mépris de la hiérarchie, ce sémillant banquier aux tempes argentées s'était entiché de la première dauphine, au point de l'épouser, et d'en faire l'arbitre des élégances du Tout Paris…
Tandis que Simone était repartie ce soir là avec Claudio, stagiaire perchman à l'ORTF, avec qui elle vécut une aigre romance dans un studio humide, avant de rencontrer Albert Maraîcher, présentement endormi sur le canapé, entre l'auteur de ses jours et le portrait de Joseph Vissarionovitch Djougachvili.
Voir Mathilde parader lui est insupportable. Simone remet le concert du nouvel an.
La marche de Radetsky réveille les dormeurs.
- Simone, j'ai la dalle ! dit Albert.