image >>>"mes Italies"

qui misère fuyez,
et qui nous effrayez,
toujours vous recevez
surnoms et quolibets.
 
(comme nous en recevons,
quand ailleurs nous allons…)
          Ma grand-mère m'avait raconté l'histoire.
 

          Eux, Orlando et ses deux aînés, Rocco et Angelo, étaient venu prêter leurs bras pour faire vivre une famille aussi pauvre que nombreuse au fin fond de la Calabre.

Pas sûr qu'ils aient trouvé ici l'Eldorado, les garçons chez les maçons du canton, et Orlando dans la ferme décrépite que, depuis la mort de son frère en Argonne, Simone essayait de faire marcher avec son père Joseph, infirme et bougon.

Mais enfin, tant bien que mal, Orlando aidait mollement de ci de là, et le plus souvent se colletait avec Gédéon, le mulet, têtu comme un âne, qu'il insultait dans sa langue, ou plus probablement son patois. Payé et nourri chichement, il agrémentait ses menus de passereaux qu'il abattait avec une fronde et cuisinait à la sauce tomate.

Des sauvages, quoi.

Ils venaient du pays qui a donné les plus merveilleux artistes* du monde, alors on les appelait "les macaronis", ailleurs les "ritals", un nom plus flamboyant, qui traîne  un parfum de mauvais garçon.

C'est vrai qu'ils avaient le sang chaud, pas comme les polacks qui se contentaient de bosser dur sans voler les femmes d'ici, et d'endosser la soutane pour pallier la crise de vocations autochtones.

Ah, les femmes ! c'est là que le bât blesse souvent, à croire qu'elles sont plus accueillantes que les hommes. De beaux garçons comme ces deux-là, qui en plus de chanter le soleil à l'ocarina, ont les cheveux bouclés du David de Michel Ange, et des yeux, ah des yeux…  notre terre à betteraves n'en produit pas souvent. Certains vieux se rappellent des bagarres que suscitaient ces macaronis qui régnaient dans les bals.

A moins que ce ne soit leurs vieux à eux  qui le leur aient raconté. Les campagnes ont la mémoire longue des envahisseurs, comme de ces cosaques qui, disait-on, venaient faire leur show sur le terrain vague chaque fois qu'une guerre se préparait.

Tant et tant d'années plus tard, Simone avait encore les larmes aux yeux.

En pensant à son père, disait-elle.

Jamais elle ne parlait de Magali, sa fille. Pourtant, dans la chambre où elle se mourait, l'infirmière  avait vu la photo dans un cadre barré d'un crêpe noir d'une jeune fille lumineuse à la luxuriante chevelure noire.

Une enfant naturelle, pensez donc ! Les décennies, et même la mort,  n'effacent pas la honte.

Ni l'amour, d'ailleurs.

 

* Rossini, qui a laissé des airs pétillants, était si gros que Théophile Gautier affirmait qu’il y avait des années qu’il n’avait plus vu ses pieds; la légende veut qu'il ne voyageât jamais sans la seringue en argent avec laquelle il fourrait ses macaronis de foie gras.

                                              pour le défi du samedi, sujet "macaronis"

 

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