poir Miletune, sur une peinture de Pascal Dagnan-Bouveret

Pour le mariage de ma sœur Isabelle, j'ai eu un nouveau chapeau.

Il a une drôle d'allure, Monsieur Blanchard, avec la tête dans sa boite ! Il me fait penser au Minotaure de mon livre de contes. Ce serait épatant s'il se mettait à galoper dans la pièce avec tout son attirail, il se casserait la figure dans les mariés.

Peut-être qu'il va sortir de là sans tête, comme le magicien du spectacle de Noël à l'Athénée.

Toi, ma petite Adèle, tu es une vieille âme, dirait grand-mère Charline si elle m'entendait penser, en hochant la tête comme le dimanche midi quand je lui commente le sermon du Père Blaise, que je trouve toujours parfaitement ridicule, tu as peut être huit ans, ma fille, mais tu es habitée par une vieille âme. Et je vois bien que ça lui fait souci.

Comme elle se fait du souci, là, pour quelque chose qui ne va pas sur la robe de ma sœur, il doit y avoir un minuscule faux pli. Ce qui ne serait pas étonnant vu que c'est une vieillerie, une robe qu'elle-même a mise à son mariage, et que Mère a portée aussi au sien.

Et, beurk, qu'elles ne comptent pas sur moi pour la mettre à mon tour. Ça c'est sûr de sûr de sûr.

D'abord je me marierai avec Joseph et Octave, ils ont promis de chercher l'Atlantide avec moi, les jumeaux.

Non mais franchement, qu'est-ce que ça fait pauvre, Grand-mère et Mère avec la même robe ! D'abord c'est moche, ce velours marron, et en plus tout le monde voit bien qu'elles ont eu un prix pour le coupon.

Je ne sais pas ce qu'elle lui raconte, à Mère, la Joséphine, mais elle est encore en train de l'amadouer, je me demande pourquoi, elle doit être jalouse du collier d'Isabelle, j'en aurai le cœur net quand le minotaure aura fini son cirque.

Ça m'étonne qu'ils aient réussi à trainer grand père Alphonse à la noce. Ma parole il se prend pour le roi de Prusse sur son trône, et je parie qu'il ne va pas ouvrir la bouche de tout le repas. Je l'ai bien entendu, l'autre jour, crier à Mère : " Suzanne, je ne tolèrerai pas que ma petite fille épouse cette tête de veau de Justin Ridoux, le fils de ce de ce…" Et là il a failli s'étouffer et j'ai pas entendu le reste.

C'est vrai qu'il a une tête de veau, mon nouveau beau-frère, mais une bonne tête de veau, c'est bien pour un boucher charcutier.

Elles me serrent ces bottines neuves. Mais j'aime bien mon chapeau. J'ai l'air d'une dame, m'a dit Victor à la messe, plus précisément il a dit "d'une vieille dame", et il ne perd rien pour attendre, ce gros pâté.

Mais pour l'instant, lui, il me semble passer un mauvais quart d'heure, j'ai bien l'impression que Parrain Jacques est en train de l'étrangler, on dirait qu'il va exploser. Et je sais bien pourquoi il fait ça : c'est pour qu'il ferme sa grande bouche de grenouille ; s'il le lâche, il va aller raconter à tout le monde ce qu'on a vu ce matin, tous les deux, au fond de la serre. Dégoutant : Isabelle et lui en train de s'embrasser avec des petits cris de poulet. Beurk et beurk.

Avec moi, il peut être tranquille, je ne parlerai pas, il m'a donné un billet de mille francs, ça, c'est pour la cagnotte de l'Atlantide, et une promesse est une promesse.

D'ailleurs j'ai pas à me donner ce mal, puisque dès qu'il le pourra, Victor la grenouille va se précipiter pour aller tout raconter à Mère et Grand-mère.

Et ça va faire un formidable bazar.

J'aime bien les mariages, finalement.

 

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