(souvent  imité, jamais égalé ) Le festival de Cannes n'aura pas lieu.

Si on excepte son lancement raté, pour coïncidence malencontreuse (septembre 1939), ce n'est que la deuxième fois de son histoire qu'il fait naufrage.

La première, c'était en 1968.

Mais pas du tout parce que sévissait alors la terrible épidémie de grippe de Hong Kong, qui, en moins de deux ans, a fait près d'un million de morts dans le monde, dont 31 000 en France, que tout le monde a oubliée.

Non, c'était parce que Jean Luc Godard avait dit :

 “Je vous parle solidarité avec les étudiants et les ouvriers et vous me parlez travelling et gros plan! Vous êtes des cons !”

 

En attendant on peut revisiter des sessions précédentes

Cinélarmes

image barbouille

- Mais pourquoi pleures-tu, Marie Madeleine, ce n'est que du cinéma !

Allons viens, il n'y a plus que toi, il faut sortir maintenant !

Il était si triste ce film ?

Le fier navire s'est-il abîmé dans la mer froide, robes en lamé et sautoirs de perles glissant dans les glaçons ?

Ou pendant que son lord dansait le fox trot à Buckingham avec Lady Chatterley, s'est-elle jetée dans la Tamise, avec pour seul témoin un ivrogne chantant "le moine de Westminster" sous la lumière glauque d'un lampadaire à gaz ?

A moins que, rentrant inopinément de l'aéroport pour cause de  grève d'une certaine catégorie de personnels, le mari les ait surpris sur la descente de lit qu'ils avaient achetée à Djerba pendant leur voyage de noces, et les ait massacrés au couteau électrique ?

Ou peut-être, déjà, ne se souvient-elle plus des belles choses ?

- Rien de tout ça, Marie Clotilde : Ils se sont mariés dans une prairie, sous les cerisiers en fleurs, entourés de leurs sept enfants, trois à elle, deux à lui et deux à eux. Avec, autour, tous les musiciens d'Underground..

- C'est donc la musique qui te fait cet effet ?

- Non, ça m'a donné mal à la tête, c'est tout.

- Alors quoi, serais tu jalouse des belles actrices ? Tu sais, toi aussi, avec un peu de collagène, beaucoup de silicone, et 1 cm de faux cils, tu pourrais être superbe !

- Je m'en fous, mais alors si tu savais à quel point !

- Peut être que tu viens de penser à ton Kevin après avoir vu Georges, Brad et Matt, et que ça t'a fichu un coup ?

- Mais non, rien de tout ça, je te dis. . .

- Ben écoute, tu m'agaces, Marie Madeleine ! Tu me dis ce que tu as, ou je te laisse là à dégouliner sur le velours bleu, alors qu'on passe déjà l'aspirateur dans le fond de la salle

- Je voudrais juste...

Je voudrais juste qu'on me dise, une fois, rien qu'une seule : " t'as de beaux yeux, tu sais"...

et Dieu créa la femme.

hommage aux habiles petites mains qui savent si bien régler la solidité d'une couture pour que la bretelle se détache pile à l'heure (commande à distance ? ) devant la meute des photographes : on regarde, on bave, mais ON NE TOUCHE PLUS PAS !
 
Dieu créa la femme.
et les hommes virent qu'elle était belle.
 
L'enfant se fit l'œil à la biche, retroussa son jupon,
et commença la traque.
 
Le roi disait en la voyant si belle à son neveu : pour un baiser, pour un sourire d’elle, pour un cheveu, infant don Ruy, je donnerais l'Espagne et le Pérou ...[1]
Les princes de la terre firent tomber sur elle
des pluies de roses depuis le ciel.
 
Bientôt ce fut l'hallali,
mitraille sur tapis rouge,
j’ai le souffle court comme un daguet entend la meute
des beagles qui s’acharne et court telle une foule un soir d’émeute ...(2]
 
Dieu créa la femme
mais le temps la saisit,
qui dévore les belles comme les laiderons.
 
"Vise un peu cette folle et ses souliers montants
Elle a tous les ruisseaux dans ses regards d'émail
Elle a tous les oiseaux sur son chapeau de paille
Et dans son sac à main ses rêves de vingt ans... [3]
 
Et tandis qu'on la raille,
d'autres biches déjà s'offrent à la mitraille.
 
[1] V. Hugo, guitare        [2] Guillaume Apollinaire            [3] L. Aragon

On ne va pas à Cannes pour rigoler. Il suffit d'évoquer les Palmes d'or de ces dix dernières années pour s'en convaincre : la Shoah en Pologne, le massacre de Columbine aux Etats-Unis, l'avortement clandestin, les racines du nazisme .. (Télérama)

Thierry Frémaux, dans télérama :

Beaucoup pensent que les chants désespérés sont les chants les plus beaux, ce qui, d'ailleurs, est en partie vrai. Hormis quelques exceptions notoires il il y a toujours eu chez les cinéphiles français une tendance à sous-évaluer la comédie, qui relèverait d'un genre pas sérieux. .... La comédie est l'une des choses les plus difficiles à réussir et réclame un public intelligent.

Après

 

"Après", est un film de Börge Lindqvist Bornemark, d'après le roman éponyme du regretté Ievgueni Konstantinovitch Tiouttchev, dont chacun a encore en mémoire la tragique immolation par le feu devant le monoprix d'Irkoutsk il y a deux ans.

Tourné en noir et blanc, ce film à très petit budget n'en est pas moins d'une rare puissance et ne laissera personne indifférent.

L'immense Kjell-Olof Ingólfsson, qui, pour les raisons de santé que l'on sait, n'a pas tourné depuis "Glauque", oscarisé en 1968, incarne "Il", seul personnage du film, et il crève littéralement l'écran.

Pendant les trois heures que dure le film, dans un lieu indéfinissable, gris et plat,."Il", armé d'un grand balai à feuilles, ramène inlassablement vers un immense tas d'ordures les déchets qui s'en échappent.

Pas de dialogue, donc, pas de monologue, pas d'autre bruit que celui du vent, et une musique envoûtante qui met à vif les nerfs du spectateur : une seule note d'harmonica, qui stridule quand une bourrasque fait voler des détritus, et que le rythme du balai de "Il " s'accélère.

Le visage sans expression de l'acteur suggère que le personnage est emmuré en lui-même. Sans doute ne sait-il pas lui-même qui il est. Probablement un rescapé. Peut-être le dernier homme !

Et puis, après trois heures de balayage, l'impossible se produit, dans une scène qui sans nul doute restera culte : dans tout ce gris, un coup de vent fait voler un objet vivement coloré. C'est un livre d'enfant "les trois petits cochons", qui atterrit aux pieds de Il.  

Alors que la caméra effectue un lent zoom avant d'une intensité insoutenable, on voit son masque se fissurer, on comprend que TOUT lui revient. Il pose son balai, s'assoit sur le sol et se met à hurler, tandis que le spectateur reste KO assis.

Un très grand film, que notre magazine considère comme le chef d'œuvre de Börge Lindqvist Bornemark. Hélas celui-ci ne montera pas les marches à Cannes, puisque nous apprenons, alors même que nous imprimons ces pages, qu'il a mis fin à ses jours hier soir dans un parking souterrain de Tromsø ; et il ne pourra pas être représenté par son acteur qui a regagné sa clinique dès la fin du tournage.

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